PRESSE

Eloge de 4 théâtres singuliers sur Rue89

Éloge de quatre théâtres singuliers, où je vais les yeux fermés J.-P. Thibaudat – RUE 89

C’est au Théâtre l’Echangeur de Bagnolet que nous avons vu pour la première fois en région parisienne un spectacle de Marie-José Malis dont on apprend avec plaisir qu’elle vient d’être nommée à la direction du Centre dramatique National – Théâtre de la commune d’Aubervilliers.

C’est au Studio-Théâtre de Vitry que nous avons découvert les deux premiers épisodes d’une trilogie écrite et mis en scène par Lazare dont un des volets sera présenté au prochain festival d’Avignon (et non les trois, hélas – frilosité habituelle).

C’est au Théâtre-studio d’Alfortville que la compagnie d’Ores et déjà (dirigée par Sylvain Creuzevault) a cherché de longs mois avant d’accoucher du spectacle « Le père Tralalère ».

C’est au Théâtre de Vanves que nous avons vu « Sandrine », première rencontre avec la compagnie Pôle nord, c’est aussi là que nous avons découvert trois des six spectacles qui concourent actuellement au festival « Impatiences » dont la compagnie lauréate gagnera une visibilité de plusieurs semaines dans plusieurs théâtres, à Paris et en région parisienne.

Les quatre mousquetaires

Arrêtons-là l’inventaire car une série d’entretiens avec les directeurs-animateurs de ces quatre lieux constitue l’une des deux pièces maîtresses d’un passionnant numéro 14 d’« OutreScène » (revue publiée par le Théâtre de la Colline).

Le titre de ce numéro est une question : « Réinventer des lieux de création ? » La réponse est évidement oui. Sans prétendre à l’exhaustivité mais en choisissant ces quatre lieux, la revue décline ce « oui » en un foisonnant faisceau.

Les quatre lieux sont situés dans la proche banlieue parisienne (Alfortville, Bagnolet, Vanves, Vitry), ils ont chacun leur ancrage, leur façon d’être, de faire et de « réinventer ». La personnalité d’un Daniel Janneteau (Vitry) est loin de celle d’un Christian Benedetti (Alfortville), tous deux étant par ailleurs des metteurs en scène reconnus.

Le noueux Johnny Lebigot (Bagnolet) est loin du volubile José Alfarroba (Vanves), les deux n’étant pas des artistes de plateau mais des guetteurs. Tous sont à l’écoute des artistes en herbe ou hors normes, ceux que le réseau institutionnel généralement ignore (trop frais, trop à part, trop imprévisibles, trop risqué).

Eux, ils les repèrent, les écoutent, les accompagnent. Jusqu’à ce que chacun de ces lieux singuliers les portent à la vue du public.

Comment se fait le premier contact ?

  • Téléphone arabe ;
  • rencontres au coin d’une lecture ;
  • coup de téléphone ami ;
  • virée dans un lieu à la marge de la marge ;
  • fruit mûr au terme d’une série de conversations.

Ces quatre lieux mousquetaires (il en est d’autres en banlieue parisienne et ailleurs) sont des hauts lieux de repérages. Mais aussi de refuges quand, les années passant, l’apprivoisement des circuits institutionnels a du mal à se faire et que ces aventures continuent à faire peur (« ce n’est pas pour mon public, mes abonnés » et autres balivernes).

L’artiste émergent est-il un détergent ?

Tous les quatre ont en horreur un terme cher aux communiqués des communicants : la notion d’« artiste émergent » (et la prime au jeunisme que cela suppose). Johnny Lebigot enrage :

« J’ai l’impression que dans ce paysage théâtral tous les artistes qui développent un travail singulier sont constamment remis dans cette case, comme si tout était toujours à recommencer et à prouver. »

Incasable, effectivement, le travail d’un Thierry Bédart qui qualifie ironiquement les gens comme lui de « vieux émergents ». L’âge ne fait rien à l’affaire. Daniel Janneteau :

« Le Studio [théâtre de Vitry] a aussi pour vocation d’accueillir les artistes singuliers à qui l’institution, telle qu’elle est aujourd’hui, avec sa chape de conformisme et son exigence d’efficacité, ne donne pas de place. »

Les lieux singuliers sont les maternités de l’art théâtral. Ils donnent vie et respiration. Ils sont indispensables pour débuter dans la vie (d’artiste), ils manient les forceps avec précaution.

Les institutions souvent feignantes puisqu’elles se délestent au passage d’un part de leur boulot de repérage, viennent parfois dans ces lieux singuliers faire leur marché. Un « Platonov » signé Benjamin Porée vu à Vanves par un programmateur de l’Odéon sera à l’affiche l’an prochain aux Ateliers Berthier.

La démarche prime sur le résultat

La force de ces lieux singuliers c’est, en maintenant leur cap et en travaillant leur inscription dans une ville, un quartier, d’avoir su acquérir la confiance du public (local, parisien, professionnel). Je vais à Vanves ou à Vitry les yeux fermés. Il y a des échecs, des fausses pistes, des spectacles qui butent contre un mur. Pas grave, on y revient. La démarche prime sur le résultat.

Leur statut ? Indistinct. Alfortville est officiellement « lieu conventionné hors écriture ministérielle », selon son directeur. Bagnolet qui abrite aussi la compagnie du fondateur, va obtenir une aide de la région au titre de « fabrique de culture » mais ne pourra plus bénéficier du dispositif « plateaux solidaires » d’Arcadi, allez comprendre pourquoi. Vitry n’a aucun label particulier et est financé par la ville, le Conseil général, la DRAC (Direction régionale des affaires culturelles), la Région. Vanves est avant tout un théâtre municipal (89% du budget) tout en menant une politique qui ne l’est pas.

Leur budget ? Variable selon les lieux mais modeste. Trop modeste. D’autant que les recettes sont forcément plus que modestes : petite jauge, prix modiques. L’équipe ? Réduite. Trois permanents à Vitry (une salle) qui, volontairement, ne fait que sept à huit ouvertures publiques par an avec des équipes longuement accompagnées, tout en menant une activité régulière (comité de lecture par exemple) au sein du lieu et de la ville.

Dix permanents à Vanves (deux salles) où les présentations publiques sont nombreuses une bonne partie de l’année et particulièrement lors du festival Ardanthé, mais pour de courtes durées. N’empêche, Alfarroba pourrait reprendre à son compte ces propos de Jeanneteau :

« Le Studio [le théâtre de Vanves] n’est pas un lieu de diffusion, moins encore de consécration, mais un lieu d’apparition, un point de départ. Le plus important n’est pas d’arriver chez nous, mais d’en partir ».