EDITO

L’Echangeur a 20 ans.

20 ans de construction patiente d’un outil conçu par la Cie Public Chéri pour la création artistique
et sa rencontre avec le public ;

20 ans de conquête et de réhabilitation d’espaces à un endroit où la spéculation immobilière
va son train ;

20 ans de partage avec les équipes accueillies, de prises de risques économiques et d’autogestion ;

20  ans de non conformation aux injonctions à « répondre aux attentes du public » ou à « adapter
l’offre artistique au territoire » ;

20 ans de pari sur la curiosité du public et son goût pour l’inattendu ;

20 ans durant lesquels L’Échangeur aura permis à des dizaines de milliers de spectateurs de découvrir des propositions et des artistes marquants qu’ils ne connaissaient pas, et que l’on retrouve aujourd’hui sur bien des scènes du territoire national, y compris les plus prestigieuses.

A présent, L’Échangeur et son projet sont connus nationalement ; son existence semble relever de l’évidence, il occupe une place nécessaire que les lieux du service public sont de moins en moins en mesure d’occuper.

Et pourtant…

Après 20 ans, les moyens minimums pour mener dignement ce projet (dans le respect de la législation du travail notamment) continuent de faire défaut ; L’Échangeur se maintient – il serait plus juste de dire est maintenu – dans la précarité, à la limite de l’asphyxie économique. Ainsi, les mesures de soutien accordées récemment par le Ministère de la Culture à certains lieux et à la « création indépendante » ne concernent pas L’Échangeur… qui ne peut que s’interroger sur les raisons de cet oubli, voire de cette éviction.

A l’occasion d’un rassemblement professionnel à Avignon cet été, et en présence de Madame Azoulay notre nouvelle ministre de la culture, les représentants de l’Office Nationale de Diffusion Artistique (Onda) déploraient le manque de programmations longues des spectacles et le peu de présence durable des équipes artistiques dans les lieux ; étude à l’appui, il nous fut démontré que la présence durable des artistes dans les lieux constituait une véritable « plus-value » (sic) pour ces derniers…

Le projet de L’Échangeur – qui s’inscrit précisément en réponse à cette défaillance du service public de la culture – reçut ainsi un indirect et involontaire hommage qui ne sera malheureusement suivi d’aucun effet ; car comble d’ironie, L’Échangeur n’ayant pas les moyens d’acheter les spectacles qu’il programme, l’Office Nationale de Diffusion Artistique ne peut lui apporter le soutien financier qu’il accorde à d’autres, dont l’action en matière de diffusion artistique est bien moins opérante que celle de L’Échangeur…

Quoi qu’il en soit, notre confiance dans le service public de la culture et ses institutions est intacte !
Et nous ne doutons pas que dans les vingt années à venir les choses évolueront vers plus de reconnaissance du travail effectif et une plus juste répartition des financements publics.

A moins que le service public et ses institutions n’aient purement et simplement disparu d’ici là ?
Faute notamment d’avoir su se réinventer et d’avoir su apporter leur soutien à ce et ceux qui concouraient à sa pérennité.

RÉGIS HEBETTE