Le Théâtre Paris-Villette a fermé ses portes. Il a été mis en liquidation le 15 décembre 2012 et ni la Ville de Paris (financeur), ni l’État (propriétaire des murs) n’ont fait le nécessaire pour sauver un projet qui accompagnait la création artistique en diffusion et en production depuis plus de 20 ans dans la capitale. La qualité de ce qui y était présenté n’est pas contestée (elle le serait d’ailleurs difficilement), mais la fréquentation du lieu a été jugée insuffisante par la Mairie de Paris.
Celle-ci, qui a récemment lancé un appel à projet, annonce que « le Paris-Villette restera tourné vers la création, mais aussi et surtout tourné vers le public ». Le bulletin municipal du 19e arrondissement précise également que ce futur projet alliera « exigence de la création et accueil sans exclusive de tout public »… Nous y voilà : pour les décideurs parisiens, les artistes et les oeuvres présentés au TPV n’étaient pas (ou pas suffisamment) « tournés vers le public » et l’accueil de celui-ci n’y était pas « sans exclusive »… Sous le vocabulaire et l’argumentaire de la « démocratisation culturelle », c’est en réalité au désaveu d’une certaine création – implicitement accusée de faire barrage à la présence du « tout public » – que nous assistons.
Ainsi, c’est au programmateur et aux artistes et à eux seuls semble-t-il, qu’on entend faire porter la responsabilité de la rencontre de l’« exigence de la création » et de l’« accueil sans exclusive de tout public »… Qu’un tel projet – politique s’il en est – puisse dépendre d’implications plus collectives et qu’il puisse exister d’autres « volontés » que celles du programmateur et des artistes pour y contribuer (ou au contraire y faire obstacle…) ne semble pas devoir être pris en compte. Pour les décideurs parisiens ce qui ne rencontre pas largement le public est forcément défaillant, et peu importe que toute l’histoire de l’art (y compris celle du théâtre) démontre le contraire. Dans un tel contexte, le futur projet ne pourra pas avoir pour objectif de faire rencontrer au « public » une création artistique qu’il méconnaît parce qu’elle oeuvre le plus souvent à l’écart des grands médias et des grandes institutions ; ce qui orientera le projet c’est bien évidemment la nécessité de lui assurer la large fréquentation qui lui est demandée. Sommes-nous si loin de l’injonction du président Sarkozy qui exigeait des artistes qu’ils « répondent aux attentes du public » ? Ou bien les dirigeants parisiens ne mesurent pas ce que ce renversement signifie de négation de l’art et d’instrumentalisation de sa relation à la collectivité, et c’est plus qu’inquiétant, ou bien ils le mesurent et c’est encore moins rassurant…
Le TPV avait choisi de répondre autrement à la difficulté : d’abord en ne considérant pas les citoyens inaptes à rencontrer la création artistique d’aujourd’hui, ensuite en affirmant que cette création devait être d’autant plus présente et soutenue dans la ville capitale que sa rencontre avec ses contemporains n’a rien d’une évidence. Les équipes artistiques trouvaient au TPV des conditions d’accueil respectueuses qui leur permettaient de faire exister leur travail et d’en vivre* ; ce que ne permettent pas une majorité de manifestations et de lieux parisiens et notamment nombre de ceux que la Mairie de Paris a initiés : ‘104’, ‘Nuit blanche’ etc. N’est-ce pas d’abord à ce modèle d’accompagnement de la création artistique (modèle devenu rarissime à Paris) qu’on a souhaité qu’il soit mis fin ?
Pour notre part, nous saluons chaleureusement le travail réalisé par Patrick GUFFLET et son équipe et nous ferons partie de ceux qui continueront à se mobiliser pour que le futur projet de ce lieu essentiel traite avec autant de considération et de respect « le public », les artistes et les oeuvres de notre temps, qu’ils le furent au Théâtre Paris Villette pendant plus de 20 ans.
RÉGIS HEBETTE
*(Pour ce qui est des véritables privilèges, il convient notamment de s’intéresser aux salaires mirobolants versés par le théâtre (public !) de l’Odéon dirigé par Luc Bondy, ou bien aux coûts de fonctionnement proprement pharaoniques prévus pour La Philharmonique, coûts qui assècheront immanquablement la vie culturelle de Paris dans les années à venir). Une « aide aux fabriques » pour L’ÉCHANGEUR ! Lire page 26 de notre programme papier