Théâtre du blog
« Appontages et le flot dépassa ma sandale…» de Martine Venturelli et son équipage.
Article de Christine Friedel
29 février 2016
Repartir aux origines : se plonger dans le noir et laisser venir les sons, peu à peu perceptibles. Puis des éclats de lumière se produisent, et des «éclats de paroles», fugaces. Sur cet écran noir, et sous l’influence de cette écoute presque inconsciente de paroles morcelées, le spectateur projette ses visions marines. Chocs métalliques, cris dans la nuit, brusques coups de projecteur : on pense évidemment à Calais, au tunnel sous la Manche, aux fugitifs poursuivis.
Toute l’inquiétude d’un port nous gagne, en même temps qu’une grande quiétude, celle du noir et du silence, avec le grand lyrisme de la musique (la contrebassiste Joëlle Léandre, Jean-Sébastien Bach, György Ligeti, Jean-Luc Guionnet).
Les paroles, brèves, coupées, cassées parfois, à l’exception de la litanie biblique de L’Histoire de Jonas (dans la traduction d’Henri Meschonic), sont de Didier-Georges Gabily, Maurice Blanchot, Georg Büchner et Antonin Artaud. Sous-jacentes à l’expérience mais fondant cette recherche sensorielle, elles sont presque évacuées du résultat final. Ce que l’on regrette.
Ce théâtre-laboratoire parvient à quelque chose qui serait la réinvention d’une représentation, d’un théâtre artisanal et immense bénéficiant ici du beau plateau de l’Echangeur… L’expérience, précieuse pour le public mais parfois alourdie par l’exercice montré comme tel, est ici trop avancée pour garder des restes de son élaboration : on a envie qu’elle aille jusqu’au bout. Ou alors, qu’elle recule d’une étape et nous fasse participer à la construction de ce puzzle.
Tel quel, ce spectacle, en coupant la parole à Didier-Georges Gabily par exemple, la lui rend comme jamais. À suivre absolument, et à rattraper là où il se jouera.