Edito – Rentrée 2019

Depuis sa création le Théâtre L’Échangeur – Cie Public Chéri évolue au gré des transformations du lieu et de l’acquisition de nouveaux locaux. Sa superficie est progressivement passée de 180 m2 en 1994 à près de 2 000 aujourd’hui. En lui permettant d’accueillir toujours plus d’équipes et d’élargir régulièrement le champ de ses activités, cette extension progressive et continue a porté L’Échangeur vers l’avant depuis près de 25 ans. Mais l’apparente bonne santé du lieu (si l’on en juge par sa superficie ou sa fréquentation) s’accompagne d’un paradoxe : plus le lieu croît, plus se relativise le soutien des collectivités publiques.

Car en dépit de sa réussite, le Théâtre L’Échangeur se heurte à ce qu’on pourrait appeler un effet de seuil : une structure associative (de droit privé donc) peine à dépasser un certain niveau de financement public et ne saurait aujourd’hui bénéficier – à activité équivalente – d’un accompagnement économique comparable à celui d’un établissement public.

Ainsi, plus L’Échangeur et ceux qui l’habitent gagnent en capacité d’agir, plus l’économie de l’ensemble est précaire. Et pourtant… L’Échangeur a choisi en juin dernier d’acquérir le bail de location de l’espace rendu vacant par le départ de Lutherie Urbaine, qui a récemment cessé son activité pour raison économique après douze années de présence sur le site.

La décision d’investir ce nouvel espace n’est pas un pari ou un coup de poker mais une affirmation : il s’agit de ne laisser aucune entreprise commerciale s’installer sur le site créé par la cie Public Chéri et de préserver l’intégrité et le devenir de l’aventure collective qui s’y construit depuis plus de deux décennies autour de la création artistique.

En destinant ces nouveaux locaux aux pratiques amateurs et aux activités d’équipes qui agissent hors du champ artistique (dans les domaines de l’éducation, de la recherche, de l’action sociale…), L’Échangeur entend s’ouvrir à d’autres types d’expériences, initier de nouvelles relations à l’espace collectif et à ceux qui y vivent, et inventer – avec celles et ceux qui occuperont le site ou l’occupent déjà – de nouvelles formes de partage et d’alliance.

Mais pour devenir effective, cette ambition doit rencontrer le soutien des collectivités publiques. Ça n’est pas impossible car les interlocuteurs institutionnels de L’Échangeur sont conscients (et soucieux) de la fonction que remplit ce « lieu-ressource » pour de très nombreuses équipes artistiques et de ce qu’il autorise d’initiatives et d’actions communes sur un territoire en souffrance, où les habitants – mais aussi les acteurs publics ! – sont en manque de points d’appuis et de relais.

Cela suffira-t-il ? ça n’est pas certain ; car accorder à L’Échangeur les moyens (au demeurant très limités) qui permettraient la poursuite de son action, c’est lui reconnaitre une importance accrue et contribuer à faire d’une structure associative un acteur incontournable du territoire. Cela n’a rien en soi d’une aberration, mais cela suppose une évolution, une réinvention de la relation entre acteurs publics et acteurs associatifs.

Les collectivités sont-elles prêtes à repenser la conduite des politiques publiques avec le concours des acteurs du monde associatif? Au-delà du seul cas de L’Échangeur, la question nous semble mériter d’être posée, notamment – ou peut-être précisément – à un moment où l’idée même de service public est violemment remise en question*.

Régis HEBETTE


*Voir à ce sujet le Communiqué commun Convergence nationale des services publics / Collectif des Associations Citoyennes sur http://www.associations-citoyennes.net